Il faut beaucoup de bruits, beaucoup de lumières, autour de soi pour ne pas apercevoir que germe, que s’étend à partir de là où on savait, depuis longtemps, pouvoir le trouver, à partir de cet endroit que le doigt sait précisément toucher sans se tromper, et jusqu’à plus loin qu’on aurait cru qu’il puisse aller, à vrai dire si peu soucieux de lui et de son emplacement que la pensée même de son éventuelle extension aurait été étrangère, intruse dans un corps, une trajectoire du corps miroitée et remiroitée dans ce qu’on appelle la tête, intruse dans une trajectoire du corps jamais retardée ou déviée par l’attrait de ce que contiennent les territoires intestins ; il faut beaucoup de bruits, beaucoup de lumières autour de soi pour ne pas apercevoir que s’étend, de proche en proche, à son plus haut niveau la nuit, et retiré, retranché, le jour dans son repaire dans un creux de l’estomac, mais chaque jour un peu moins retiré, laissant le souvenir de sa présence là où il vivait en maître la nuit, laissant quelque chose comme l’empreinte de lui-même dans les boyaux, l’empreinte du maximum de son extension, comme pour le fleuve son lit et la trace sur les murs de ses plus hautes crues, laissant quelque chose comme son odeur, moins que l’odeur, le souvenir de l’odeur encore dans le nez et qui fait craindre, quelques instants, à celui qui la sent, de ne plus jamais pouvoir s’en défaire, de ne plus jamais pouvoir goûter à, l’air frais, l’innocence de l’air frais, de ne plus jamais pouvoir respirer tranquillement, à l’abri des intrusions de ce qui menace de s’étendre, conquérant, insatisfait de n’être maître que la nuit, de n’être maître que de la nuit, la nuit nourri de ce que l’immobilité du corps peut suer de pensées quand s’arrêtent les rotatives qui nous entraînaient avec elles, requérant toutes nos forces pour nous traîner avec elles, quand s’arrêtent toutes les demandes, toutes les nécessités de faire ceci ou de dire cela, qu’il ne reste plus que la fatigue qui finit toujours par nous attirer à elle, et nous allonge, nous immobilise, et, déserrant les mains, laisse s’envoler les voiles que l’on avait tissés autour de soi pour ne pas se regarder, et fait suer les pensées dont se nourrit ce qui, situé dans le ventre sinon le ventre lui-même, essaye de s’accroître ainsi nourri, essaye de trouver une forme en dehors de la nuit, essaye de supporter la lumière qui jadis parvenait à le brûler, la lumière du jour dont la chaleur lavait la carcasse des rêves dont elle s’était alourdie ; quelque chose dans le ventre essaye de s’habituer aux brûlures de la lumière du jour, quelque chose dans le ventre se sent à l’étroit dans le ventre, se sent à l’étroit dans la nuit, et tentera d’annexer le ventre, puis la nuit, puis le jour, et enfin la peau qui ne pourra plus rien toucher sans en faire une proie, un moyen de donner forme à ce qui, caché dans le ventre, cherche à s’étendre.