Sans raison de les lever, les yeux soudain levés, à demi s’ouvrir pour laisser entrer, un peu –
Essayer de s’ouvrir. Rigidité des tissus qui empêche que quoi que ce soit entre, entre de son propre mouvement, de sa propre décision. La force des mains suppléera aux pores qui ne s’ouvrent pas, arrachera les forces extérieures à leurs propres trajectoires, les enfoncera brutalement dans la bouche à peine ouverte. La force des mains mêlera le sang de la bouche aux sangs extérieurs.
À quelques pas, à portée des mains peut-être, quelque chose s’il l’avait vue aurait pu, creuser à nouveau dans la matière devenue trop dure, matière dont la surface n’est sillonnée que d’éclats anciens – visage, cicatrice de blessures oubliées.
Coquille qui ne se fissure pas, conquérante s’épaissit pour intégrer à elle les particules voisines, haïes parce qu’extérieures.
Quelque chose d’extérieur aperçu (quelque chose qui a été extérieur), peut-être aperçu parce que déjà plus tout à fait extérieur, déjà en cours d’ingestion (je mesure le monde à la taille de mon estomac).
Temps où peut-être ce qui s’est une fois refermé ne se rouvrira plus. Temps où il ne sera possible d’entendre de la voix des autres que les ressemblances avec notre propre voix.
Poussé hors du cercle des jours aplanis et usés par quelques rares abords de la peau, ne pouvoir compter que sur des gestes presque hors de mémoire, réinvestir l’enfance flétrie.
Paroles que je crois miennes, paroles du dehors que retient provisoirement une surface rugueuse et trouée, toujours plus trouée et menacée d’asséchement.
Des germes étrangers, s’emparer sans leur laisser le temps de croître ou mûrir, secréter autour d’eux la pâte qui les empêchera de les reconnaître, pâte qui les fera oublier.
Ouverture tout juste suffisante pour percevoir que ce qui a été dit n’a pas été entendu, deviner que ce qui s’est produit n’a pas été vu, ouverture peut-être entièrement imaginée de la l’intérieur de la poche fermée, reflet d’une lueur un peu plus intérieure.
Croyant avancer vers une issue, s’enfoncer davantage dans le couloir aux dimensions de la peau : habit de pierre se resserrant continuellement et que la complaisante fait appeler « chemin ».
Parler, continuer de parler, gardant en partie la croyance qu’en parlant se libéreraient des forces restées enfouies, forces dont la libération ouvrirait une voie où jeter la lourdeur des os, continuer de parler, pourtant attiré par le soupçon que la parole durcit la gangue qui serre le corps, forme les organes sur le modèle des organes de quelqu’un d’autre.
Effritée par les percées d’un éclairage brutal, sous les pieds poche noire où puiser de quoi se faire entendre.
N’ayant par résisté aux insistances qui lui suggéraient de déplacer certaines pierres à certain endroits, ériger machinalement les digues contre la mer qu’il n’a jamais vue et dont il doute parfois de l’existence, digues qui, à mesure qu’elles s’élèvent, retirent l’espoir de voir un jour la mer.
La récurrence des gestes et paroles tisse des épaisseurs sur lesquelles appuyer le corps qui cède sa solidité à ce tissu qui l’entoure, tissu qui le tient debout et lui cache l’hypothétique lumière du jour.